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Histoire : 400 ans de maïsiculture dans le Sud-Ouest

Ramené d’Amérique en Europe à la fin du XVe siècle , vraisemblablement par Christophe Colomb, le maïs a été introduit dans le sud-ouest de la France dans les années 1620. Depuis, il y est devenu la plante reine.

Né il y a près de 9.000 ans en Amérique centrale, la plante n’a été introduite en Europe qu’au XVe siècle. Arrivé d’abord au sud de l’Espagne, le maïs se diffuse rapidement sur le Vieux Continent. Il atteint le Sud-Ouest dans les années 1620.
© AGPM

Si le maïs représente la principale culture dans le Sud-Ouest, son implantation y est relativement récente. Née il y a près de 9.000 ans en Amérique centrale, la plante n’a été introduite en Europe qu’au XVe siècle. «À partir de 1493 (N.D.L.R. : date du retour de Christophe Colomb de sa première expédition), le maïs passe en Europe, en Afrique et en Asie dans les poches des marins et les soutes de tous les bateaux qui font la navette», explique Jean Beigbeder, ingénieur agronome, dans son essai Voyage au pays du maïs, du Mexique aux Pyrénées.

Arrivé d’abord au sud de l’Espagne, le maïs se diffuse rapidement sur le Vieux Continent. Il atteint le sud-ouest de la France dans les années 1620. «Des écrits attestent de manière incontestable la présence de la plante en Béarn en 1626», souligne Jean-Paul Renoux, auteur d’une brochure sur l’Histoire du maïs dans le monde.

XVIIe siècle : atouts majeurs

Un tiers plus productif que le blé et peu sensible aux maladies, le maïs gagne progressivement du terrain. «À la fin du XVIIe siècle, le maïs est cultivé de Bayonne à Béziers», indique Jean-Paul Renoux. Outre ses qualités agronomiques, la plante possède un autre atout non négligeable à l’époque : n’étant pas soumis à la dîme (l’impôt ecclésiastique levé à la récolte), il bénéficie d’un avantage fiscal par rapport au blé, imposé plus durement.

Le maïs est donc cultivé dans les jardins et devient une des composantes principales du régime alimentaire des paysans. Utilisée sous forme de pain (de mélange, car il se panifie mal), de galettes, de soupes ou de bouillies, la farine de maïs satisfait les besoins caloriques quotidiens et libère pour la vente sur les marchés le froment, céréale noble, payée plus cher.

Le maïs est également utilisé pour l’alimentation animale. Les feuilles sont prélevées par écimage après la floraison et distribuées au bétail. Le grain, lui, est pour les volailles, les canards, mais aussi pour les cochons jusqu’ici nourris avec des glands sur les espaces communs du village. Les productions sous signes de qualité qui font aujourd’hui la renommée gastronomique du Sud-Ouest — volailles de chair, foie gras, jambon de Bayonne — trouvent leur origine à cette époque-là.

XVIIIe siècle : une plante (déjà) controversée

Grâce à tous ses atouts agronomiques, le maïs bénéficie au cours des XVIIe et XVIIIe siècle d’une propagande très intense de la part des classes scientifiques éclairées qui encouragent sa culture. Plus connu pour son attachement à la pomme de terre, le pharmacien et agronome Antoine Parmentier rédige, notamment en 1785, un mémoire sur Le maïs ou blé de Turquie apprécié sous tous ses rapports. Quant à la Grande Encyclopédie des Lumières, elle dit du maïs «qu’on devrait le cultiver en France plus qu’on ne fait»

Pour autant, la plante ne fait pas l’unanimité. Les propriétaires et les bourgeois la dédaignent, la qualifiant de «pain du pauvre». Jean Beigbeder a compilé certaines citations de l’époque montrant à quel point le maïs était méprisé. L’avocat palois Nicolas Suberbie-Cazalet estime ainsi, en 1774, qu’il est «la nourriture commune des paysans de second ordre et d’une partie des artisans.» Le proverbe «Minja la chòina e deisha la mestura» – Mange le pain blanc et laisse le pain de maïs – est tout aussi parlant…

XIXe et XXe siècles : grandeur et décadence

Reste que c’est bien grâce au maïs que les Français feront face aux très nombreuses disettes qui les frappent vers la fin du XVIIIe siècle, ce qui explique certainement le développement de la culture à travers l’ensemble pays. «La surface de maïs en France atteint ainsi près de 700.000 ha à son apogée vers 1850», souligne Jean Beigbeder.

Mais les progrès de rendements sont extrêmement lents. «Le rendement record en 1938 est de 18 quintaux par hectare, reprend Jean-Paul Renoux. À peine un peu plus que les 10 à 12 quintaux qui étaient récoltés au XVIIe siècle…» L’écart de productivité avec le blé s’est aussi réduit… d’autant que ce dernier a été «rendu plus productif par les sélectionneurs français du XIXe siècle comme Louis et Henry de Vilmorin qui, les premiers au monde, ont inventé la sélection généalogique», note Jean Beigbeder.

De plus, entre l’exode rural engagé à la fin du XIXe siècle et les pertes humaines de la Première Guerre mondiale, le monde agricole est confronté à une telle saignée que se posent des problèmes de main-d’œuvre. Or, jusqu’alors, la culture du maïs reposait sur l’important nombre de bras disponibles pour labourer, désherber et butter le sol à l’aide de la seule charrue… Bref, réaliser manuellement la plupart des opérations de conduite de la culture.

Enfin, les habitudes de consommation alimentaire changent progressivement. «L’enrichissement des populations urbaines a vu les Français du XXe siècle accéder à la consommation du pain de froment et abandonner la consommation de bouillies et galettes confectionnées avec des céréales “secondaires”». Car c’est bien ainsi que le maïs est désigné dans les atlas : une céréale secondaire et régionale.

Inexorablement, les surfaces régressent. «Les Annales de Géographie du 15 mars 1931 relèvent que le maïs, poursuivant son déclin, n’occupe plus alors que 348.000 hectares avec une production de 5 millions de quintaux, raconte Jean-Paul Renoux. Après la Première Guerre mondiale, il se concentre dans ses zones historiques qui sont restées aujourd’hui au cœur de la production française. Les Landes, les Basses et Hautes-Pyrénées, la Haute-Garonne, représentent alors la moitié des surfaces».

Première moitié du XXe siècle : des maïs de pays

La particularité de la culture du maïs avant la Seconde Guerre mondiale réside dans la diversité des variétés utilisées à travers l’Hexagone. «La collection nationale, mise en place il y a trente ans par l’association de sélectionneurs Pro-Maïs et l’INRA, comprend 274 “populations” ou variétés de pays collectées sur le territoire français», indique ainsi Jean Beigbeder. «Chaque terroir avait sa variété, sélectionnée en fonction des besoins locaux», complète Jean-Paul Renoux.

Le Grand Roux Basque, par exemple, était apprécié pour sa polyvalence, tandis que le Blanc de Chalosse convenait parfaitement au gavage. Ces variétés ultra-locales étaient sélectionnées de manière empirique. On choisissait «les plus belles plantes et les plus beaux épis dans la masse du champ pour en ressemer les grains l’année suivante.» Cette technique ne permet cependant qu’un progrès génétique très lent.

1930-1939 : les premiers jalons d’une nouvelle ère

Outre-Atlantique, il en va tout autrement. Comme aujourd’hui, les États-Unis dominent largement la production mondiale. Sur les 77 millions d’hectares cultivés dans le monde en 1928, ils en sèment 40 millions avec des rendements bien supérieurs à ceux obtenus en France… Le secret de leur productivité réside dans la production de variétés hybrides F1 de lignées pures, plus communément appelées variétés hybrides.

Ce sont les travaux de plusieurs chercheurs américains menés dès le début du siècle qui amènent à ce qui est aujourd’hui considéré comme la contribution la plus importante en biologie appliquée de la première moitié du XXe siècle : la fabrication par l’homme de lignées pures de maïs. «Elles sont obtenues en autofécondant manuellement des plantes issues des populations pendant cinq à huit générations selon le niveau de pureté souhaité», explique Jean Beigbeder. Au champ, leur supériorité est incomparable : elles offrent un rendement double et une résistance au stress et aux maladies uniformément améliorés.

Dans les années 1930, le maïs hybride est commercialisé à grande échelle aux États-Unis. Ses bienfaits ne tardent pas à être connus en France. Et c’est lors du premier congrès international du maïs, les 3, 4 et 5 octobre 1930 à l’hôtel de ville de Pau, que les premières communications sur le sujet sont faites dans l’Hexagone. Elles suscitent un engouement très important dans les rangs des participants.

À l’issue des débats, le député béarnais Prosper Minvielle plaide pour la création d’une station d’expérimentation en Béarn, proposition qui est reprise comme un vœu des congressistes dans les conclusions de leurs travaux. Finalement, c’est dans le sud des Landes, à Saint-Martin-de-Hinx, qu’elle verra le jour en 1932. Toutefois, ses objectifs restent exactement les mêmes que ceux exprimés à Pau : «Amélioration de la culture du maïs, recherche des races les plus productives et les plus hâtives par sélection, hybridation ou croisement, amélioration des fumures et de la lutte contre les parasites.»

Dans un premier temps, les chercheurs de la station «pratiquent la sélection généalogique des variétés locales, indique Francis Théau, auteur d’un mémoire sur “Le maïs et le Béarn de 1930 à 1945”. Ils étudient également les qualités, aptitudes génétiques et facultés d’acclimatation d’un certain nombre de variétés étrangères en provenance d’un grand nombre de pays d’Europe producteurs de maïs, d’Amérique du Sud et du Nord, ainsi que de l’Afrique du Sud». Peu de variétés étrangères se révélant propices à l’acclimatation, des croisements expérimentaux entre maïs de pays (Lacaune, Grand Roux Basque…) et maïs étrangers sont menés dès 1934.

C’est également cette même année, le 13 mai, qu’est créée l’AGPM à Orthez (Pyrénées-Atlantiques). Face à la concurrence des importations, au problème du manque de main-d’œuvre et à la difficulté de valoriser les prix, les maïsiculteurs décident de se regrouper pour montrer un visage uni face aux pouvoirs publics. L’association veut étudier les coûts, organiser la production, obtenir des prix justement rémunérateurs, augmenter les débouchés, encourager la création de syndicats et coopératives agricoles. Mais la Seconde Guerre mondiale vient donner un coup d’arrêt temporaire aux débuts d’organisation de la filière.

Après-guerre : l’introduction des hybrides

Les affaires reprennent à la Libération. L’agriculture ne permettant pas de subvenir aux besoins de la population, l’INRA est créé en 1946. L’objectif est de mettre la science et la technologie au service de développement de l’agriculture pour nourrir la France.

Dans le cadre du plan Marshall, les premiers hybrides américains sont ainsi testés à partir de 1948 dans une douzaine de stations expérimentales. «Ils sont comparés aux populations de pays et en particulier le Grand Roux basque, variété témoin très performante puisqu’elle pouvait donner des rendements de 60 quintaux à l’hectare, relate Jean-Paul Renoux. Les résultats sont sans appel : Iowa 4 417 et Wisconsin 464 atteignent des rendements supérieurs de 20 à 50% à la variété locale».

Cependant, ces hybrides précoces se révèlent moins bien adaptés aux basses températures du printemps que les populations locales. L’INRA engage donc des travaux de croisements entre les variétés américaines et les variétés françaises. Les premiers hybrides précoces franco-américains apparaissent dès 1955, augmentant encore les rendements de 20%. Devant de tels résultats, les agriculteurs pourtant très attachés à leurs variétés de pays finissent par les abandonner au profit des hybrides. En moins de 10 ans, ils les ont complètement supplantés.

Dans le Sud-Ouest, il existe cependant des poches de résistance. Le recours à des semences hybrides implique, en effet, un changement radical des habitudes. Comme le rendement des graines tirées de la deuxième génération d’un hybride décroît fortement, l’agriculteur ne peut plus produire lui-même sa semence et est obligé d’acheter de nouveaux hybrides chaque année. «Il faut passer d’une économie autarcique à une économie d’échange, avec de la trésorerie pour faire les avances sur culture, s’endetter», analyse Jean-Paul Renoux.

Par peur de perdre leur indépendance, certains se refusent à faire le saut. En 1960, environ 20% des paysans ne cultivent toujours pas d’hybrides et jusque dans les années 1970, nombre d’agriculteurs continueront à cultiver du maïs de pays pour leurs propres besoins, réservant le maïs hybride à la seule commercialisation.

De nos jours : la recherche se poursuit

Mais, inexorablement, les hybrides finissent par s’imposer. «Si les agriculteurs ont abandonné leurs variétés anciennes, c’est que les hybrides modernes leur apportaient un rendement très supérieur, une meilleure résistance des plantes à la verse, une meilleure tolérance au stress de sécheresse, une meilleure résistance aux maladies qui fait que le maïs actuel est la plante de grande culture la moins traitée», résume Jean Beigbeder. «Cela est assez révélateur du pragmatisme et de l’aptitude à l’innovation des agriculteurs», estime Jean-Paul Renoux.

Et, de fait, les agriculteurs ne s’y sont pas trompés puisque le développement de la culture a été fulgurant : de 350.000 ha à 13 q/ha après la guerre, les surfaces sont passées à 3 millions d’ha à 100 q/ha aujourd’hui. «C’est du jamais vu en France, s’enthousiasme Jean Beigbeder. En un demi-siècle, une espèce cultivée multiplie ses surfaces et son rendement par huit !». «Et, contrairement à d’autres cultures, les rendements du maïs continuent à augmenter grâce à l’adaptation des techniques et à l’amélioration variétale», complète Jean-Paul Renoux. Une recherche qui ne cesse de progresser.

De la terre des Incas aux plaines de Nouvelle-Aquitaine

Selon l’hypothèse la plus probable, l’histoire du maïs commence il y a 9.000 ans, dans une région reculée du Mexique, la vallée du rio Balsas, au sud de Mexico. Les Amérindiens y cultivent la téosinte, aussi appelée Zea Mays Parviglumis. Il s’agit d’une graminée annuelle, parfaitement adaptée au contexte tropical. «Dans les grottes de Xihuatoxtla, des gisements archéologiques, datés de 7.000 ans avant Jésus-Christ, indiquent que la population utilisait cette culture», explique l’ingénieur agronome Jean Beigbeder. À l’époque, la plante ne ressemble encore en rien aux maïs modernes. «La téosinte disposait d’un tout petit épi, de trois à quatre centimètres de long, doté d’environ sept grains», poursuit le spécialiste.
En récoltant et en cultivant systématiquement les plants les plus appropriés pour la consommation, les peuples autochtones d’Amérique favorisent la croissance des épis. Le maïs devient la nourriture principale de ces populations. Très rapidement, il s’étend sur l’Amérique centrale (Olmèques, Mayas, Aztèques) et les Andes (Mochicas, Nazca, Inca). «Le maïs servait aussi bien dans l’alimentation humaine, que dans celle des animaux. C’était la pomme de terre du sud», explique Jean Beigbeder. Dans ces régions, le maïs connaît de gigantesques évolutions morphologiques, en même temps que la diversification des usages.
Cinq à six mille ans plus tard, l’Homme parvient à adapter le maïs aux zones tempérées du nord des États-Unis. Ces maïs permettent l’extension de la culture jusqu’au Canada. En 1492, Christophe Colomb et son équipage voient pour la première fois du maïs à Cuba. Au XVe siècle, les botanistes qui l’accompagnent introduisent le maïs en Europe. Les variétés des zones tempérées du nord du continent américain s’adaptent très facilement en Europe. À partir du sud de l’Espagne, le maïs se répand dans les régions suffisamment chaudes et humides de l’Europe : le Portugal en 1515, puis le Pays basque espagnol, la Galice, le sud-ouest de la France, la Bresse, la Franche-Comté, l’Italie, l’Égypte et tout le bassin méditerranéen.
Ces implantations donnent une grande diversité de variétés européennes, spécifiques à chaque région. Elles sont cultivées par les agriculteurs européens jusqu’aux années cinquante et l’apparition des hybrides. Aujourd’hui, le maïs est devenu la céréale la plus cultivée dans le monde. Avec quatre-vingt-cinq millions d’hectares, les variétés des zones tempérées ont pris le dessus sur celles des régions tropicales (soixante-sept millions d’hectares). Près de mille variétés sont inscrites au catalogue français et près de cinq mille au catalogue européen.
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