Volatilité : un contrat interfilière historique
Les filières céréales, oléoprotéagineux, nutrition animale et de l'élevage se sont mises d'accord sur une contractualisation interfilières historique. Elle vise à contrer la volatilité accrue des matières premières végétales, qui plonge aujourd'hui de nombreux éleveurs français dans une situation économique catastrophique.
La gravité était palpable sur les visages des responsables des productions végétales et animales le mercredi 16 février, au siège de la FNSEA. Autour de son président Xavier Beulin, Philippe Mangin, président de Coop de France, Philippe Pinta, président d'Orama, Jean-Michel Serres, président des éleveurs porcins de la FNP, Henri Brichart, président de la FNPL (lait), Pierre Chevalier, président de la FNB (bovins viande), Eugène Schaeffer pour la CFA (aviculture), et représentants de l'industrie de la nutrition animale (SNIA) étaient présents pour annoncer un accord interfilières historique qui met en oeuvre le rapprochement entre les filières végétales et animales.
Face à la volatilité accrue des marchés agricoles, beaucoup d'éleveurs sont plongés dans une situation économique extrêmement grave. Ils ont vu leurs coûts de production bondir en raison de la flambée des cours des céréales et du colza depuis l'été 2010, alors que les éleveurs sont déjà confrontés depuis deux à trois ans à de grandes difficultés de revenu. Le coût de l'aliment porc charcutier a ainsi grimpé de 40 % entre juin 2010 et février 2011. « De nombreux éleveurs sont aujourd'hui contraints de sortir du métier et je le dis parce que c'est une réalité », a rappelé en préambule Xavier Beulin. « Nous édifions un front commun pour sauver l'élevage », a renchéri Philippe Mangin. « 10 à 15 % des éleveurs porcins doivent aujourd'hui arrêter leur activité », a annoncé Jean-Michel Serres.
Bruno Le Maire avait demandé à la profession agricole de formuler des propositions mi-février visant à bàtir un partenariat céréaliers-éleveurs. Le 16 février, les productions végétales, animales et le secteur de la nutrition animale ont donc apporté leurs réponses. Ils articulent leurs propositions autour de trois axes : régulation (voir ci-dessous), contractualisation et répercussion des prix vers l'aval. « Notre objectif a été de trouver les bons moyens de rapprocher les secteurs animal et végétal tout en ne s'affranchissant pas des situations de marché », a expliqué le président de la FNSEA.
Contrats-type interprofessionnels
Concernant la contractualisation interfilières, l'ensemble des acteurs travaillent sur la formulation d'outils depuis septembre 2010. Ils veulent atténuer les excès de la volatilité des prix des matières premières nécessaires à l'élevage de porcs, de volailles et de bovins viande et lait. Il s'agit ainsi de redonner de la visibilité aux éleveurs. Les deux filières entendent être opérationnelles d'ici au 1er juillet prochain. On propose notamment des contrats type entre collecteurs de grains et fabricants d'aliments visant à lisser les prix de marché sur plusieurs mois ou s'appuyant sur les prix moyens de campagne payés aux producteurs de grains. Un deuxième outil consiste en des contrats type entre éleveurs et fabricants d'aliments assurant aux premiers une plus grande visibilité sur le coût de l'aliment. Les interprofessions devront jouer un rôle moteur dans la finalisation des contrats.
Enfin, producteurs de grandes cultures et éleveurs préconisent le développement d'outils de couverture de marché, mutualisés afin d'en limiter le coût. La filière française des oléoprotéagineux propose également la création d'un marché à terme du tourteau de colza et des marchés à terme physiques sur des produits carnés, issus du porc notamment, sont envisagés.
Les distributeurs aussi
Mais cette contractualisation interfilières portera ses fruits si et seulement si « l'aval et la distribution jouent le jeu », a souligné le président d'Orama, Philippe Pinta. Au travers d'une autre contractualisation avec la grande distribution, il s'agit de répercuter dans les prix à la consommation les variations des cours des matières premières en amont, donc des coûts de production. L'appel a été renouvelé solennellement à destination des distributeurs : « Cette fuite en avant d'un prix alimentaire toujours plus bas ne peut plus durer et c'est un intérêt collectif pour l'ensemble des maillons des filières », a martelé Xavier Beulin. La profession agricole demande au ministre de l'Agriculture et à Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État au Commerce, de « mettre tout leur poids dans la balance » pour que la grande distribution « apporte sa pierre à l'édifice » d'ici le mois de mars.
Concrètement, la FNSEA, ses différentes associations spécialisées et Coop de France proposent, « sur quelques produits de grande consommation », de « détecter des indices pour indexer ces produits sur les cours des matières premières agricoles ». La Compagnie aérienne Air France indexe déjà les prix de ses billets sur le coût du kérosène, prend comme exemple Xavier Beulin. La profession agricole estime que l'Observatoire des prix et des marges doit prendre en compte la définition de ces indices. Et Xavier Beulin de prendre les consommateurs à témoin : « Nous nous engageons sur une indexation dans les deux sens, à la hausse comme à la baisse. »
Un « plan silos » français de 5 Mt Dans le volet régulation des propositions interfilières annoncées le 16 février, la profession agricole réaffirme « la nécessité de produire des grains en France et en Europe ». Elle milite aussi pour la mise en oeuvre de stocks de sécurité dans le monde et celle d'un plan silos en France de 5 millions de tonnes (Mt) dont le coût est évalué à 1 milliard d'euros. Enfin, la profession agricole défend, dans le cadre de la présidence française du G20 cette année, « une régulation et une transparence » des marchés à terme agricoles.