La terre doit rester nourricière
Outre l'examen des tendances du marché local, la Safer Aquitaine-Atlantique a souhaité mettre l'accent sur le phénomène des achats massifs de terres arables dans certains pays.

L'économiste Lucien Bourgeois voit dans l'achat massif de terres agricoles par des entreprises ou des États, l'illustration «Â d'une mondialisation qui fonctionne mal » © G.M / Le Sillon
Depuis quelques années, on assiste à une multiplication des achats d'immenses territoires à des fins agricoles dans certains pays en voie de développement par des puissances étrangères, tant politiques qu'économiques. La presse avait ainsi fait un large écho de « l'affaire Daewoo logistics ». Le géant industriel coréen avait pris possession en 2008 de 1,3 million d'hectares à Madagascar (soit près de la moitié des surfaces cultivables de cette contrée) pour produire de l'huile de palme et du mais. Selon l'économiste Lucien Bourgeois, un tel phénomène est en vérité « la manifestation d'une mondialisation qui fonctionne mal »
Invité de la Safer Aquitaine-Atlantiques, Lucien Bourgeois a souhaité replacer cet événement dans le contexte foncier international à l'occasion de la quatrième conférence départementale du foncier rural des Pyrénées-Atlantiques, qui s'est tenue le 3 mars dernier à Montardon. Selon cet économiste, qui a longtemps dirigé les études prospectives au sein de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), ce phénomène n'est pas véritablement nouveau dans la mesure où, déjà du temps de l'empire romain au premier siècle de notre ère, de vastes domaines agricoles étaient attribués au fil des conquêtes. Un phénomène qui s'accélère
Il aura fallu attendre la Révolution française pour entrevoir une réforme agraire et une répartition plus équitable des terres. Cette ébauche de moralisation du marché foncier était suivie quelques décennies plus tard de la mise en oeuvre d'une organisation de l'agriculture, notamment aux États-Unis où « The Homestead Act1 » instaurait la création du premier ministère de l'agriculture US. L'un des objectifs, explique M. Bourgeois, était de « donner un peu de sécurité aux agriculteurs pour qu'ils puissent investir ». Ces rappels historiques démontrent que le foncier a toujours constitué une préoccupation de tout premier plan. Mais ce qui est de nature aujourd'hui à inquiéter « c'est l'accélération du phénomène », estime l'économiste. Cette accélération s'explique, entre autres, par les potentialités de défrichement rapide et massif que permet la mécanisation combinée à la masse de capitaux disponibles dans certains pays riches. L'agriculture revêt des enjeux d'importance en matière de production alimentaire du fait de l'état de sous-nutrition d'une grande partie de la population mondiale et de la progression démographique exponentielle dans des pays du Sud. Et au défi alimentaire s'ajoute désormais l'enjeu énergétique illustré par « l'effet éthanol » : Lucien Bourgeois faisait observer que, d'ores-et-déjà , 233 millions de tonnes de mais — soit plus de 10 % de la production mondiale de céréales — sont consacrées à des débouchés industriels. Dans un tel contexte, l'alimentation est plus que jamais « un problème avant tout politique », insiste l'économiste. Avec un tiers des décès d'enfants imputable à la sous-nutrition, le bilan alimentaire mondial est finalement « peu glorieux ». Face à la spéculation, à l'absence de régulation des marchés et aux agissements de certains gouvernants qui s'arrogent le droit de propriété de terres, il importe que les instances internationales fassent respecter « le droit à l'alimentation et à la sécurité alimentaire » que prône Olivier de Schutter. Manger est un droit
Ce rapporteur spécial des Nations Unies fait remarquer que 43 % de la population mondiale n'ont pas d'autre solution pour survivre que de cultiver un lopin de terre. La bonne vieille notion « d'exploitation familiale » apparaît donc comme un système très actuel. Selon Lucien Bourgeois, elle reste « le meilleur moyen de combiner l'acte de production et l'acte de transmission ».
Cette conception du développement est aussi celle que défendent des associations telles que l'AFDI (Agriculteurs français et développement international). Deux de ses représentants, Jean-Luc Laffargue et Henri Biès-Péré, faisaient état des actions partenariales conduites auprès des agriculteurs (au Bénin et au Burkina Faso notamment) pour les aider à prendre en charge leur propre développement. M. Biès-Péré n'omettait pas pour autant de remettre sa casquette de responsable syndical pour appeler « à prendre soin » ici aussi des terres agricoles. « S'il doit y avoir 2 milliards d'habitants de plus à nourrir dans le monde, il faut que les pays en voie de développement produisent eux-mêmes, affirme le président de la FRSEA Aquitaine. Mais il ne faut pas pour autant que nous arrêtions de produire chez nous sous prétexte qu'il y a des terres disponibles ailleurs ». 1. Loi des États-Unis signée par le Président Abraham Lincoln le 20 mai 1862. Guy Mimbielle
Marché foncier « plutôt stable » en 2010
Si Lucien Bourgeois s'est intéressé au contexte foncier planétaire (lire ci-dessus), les responsables des Pyrénées-Atlantiques — dont le directeur Éric Pénac et les présidents des deux comités techniques Pierre Menet (Béarn) et Jean-Claude Saint-Jean (Pays Basque) — ont relocalisé le débat en analysant les évolutions du marché foncier « accessible1 » départemental en 2010. Un marché « plutôt stable » par rapport à 2009, illustré par trois chiffres clés : 870 notifications de vente (+ 5 %) effectuées pour 2 098 hectares mis sur le marché (- 1,7 %) d'une valeur de 109 millions d'euros. Toutes les composantes de ce marché n'ont pas pour autant évolué de la même manière. Le non-agricole a progressé de + 6 % en surface et + 15 % en valeur. À l'inverse, les marchés agricoles ont chuté de 13 % en surface et 20 % en valeur. La proportion des acquisitions effectuées par des non-agriculteurs continue de s'accroître au détriment des achats par les agriculteurs (et la Safer) lesquelles reculent de 18 % : ces derniers représentent 41 % en volume mais seulement 8 % du montant total des acquisitions. Illustration de l'artificialisation des terres, près de 30 % des surfaces vendues en 2010 « sortiraient de la production agricole et forestière ».
1. Marché « accessible » : biens notifiés à la Safer ouvrant droit à préemption, à l'exception des achats par les fermiers en place et des exemptions.
Partenaires des particuliers et des collectivités
La Safer est également sollicitée pour évaluer la valeur des biens lors de successions ou de négociations entre bailleurs et fermiers : 76 propriétés (1200 ha) ont été l'objet d'une telle expertise en 2010. Elle est aussi partenaire des collectivités territoriales : elle apporte son concours technique par le biais de conventions avec les communes (ou les communautés de communes). Ce volet de l'activité a nettement progressé cette année : 132 nouvelles conventions ont été signées portant le nombre de localités concernées à 410.
Le bilan du marché foncier peut être consulté sur notre site
(www.lesillon.info) et sur celui de la Safer (www.saferaa.fr)
Il aura fallu attendre la Révolution française pour entrevoir une réforme agraire et une répartition plus équitable des terres. Cette ébauche de moralisation du marché foncier était suivie quelques décennies plus tard de la mise en oeuvre d'une organisation de l'agriculture, notamment aux États-Unis où « The Homestead Act1 » instaurait la création du premier ministère de l'agriculture US. L'un des objectifs, explique M. Bourgeois, était de « donner un peu de sécurité aux agriculteurs pour qu'ils puissent investir ». Ces rappels historiques démontrent que le foncier a toujours constitué une préoccupation de tout premier plan. Mais ce qui est de nature aujourd'hui à inquiéter « c'est l'accélération du phénomène », estime l'économiste. Cette accélération s'explique, entre autres, par les potentialités de défrichement rapide et massif que permet la mécanisation combinée à la masse de capitaux disponibles dans certains pays riches. L'agriculture revêt des enjeux d'importance en matière de production alimentaire du fait de l'état de sous-nutrition d'une grande partie de la population mondiale et de la progression démographique exponentielle dans des pays du Sud. Et au défi alimentaire s'ajoute désormais l'enjeu énergétique illustré par « l'effet éthanol » : Lucien Bourgeois faisait observer que, d'ores-et-déjà , 233 millions de tonnes de mais — soit plus de 10 % de la production mondiale de céréales — sont consacrées à des débouchés industriels. Dans un tel contexte, l'alimentation est plus que jamais « un problème avant tout politique », insiste l'économiste. Avec un tiers des décès d'enfants imputable à la sous-nutrition, le bilan alimentaire mondial est finalement « peu glorieux ». Face à la spéculation, à l'absence de régulation des marchés et aux agissements de certains gouvernants qui s'arrogent le droit de propriété de terres, il importe que les instances internationales fassent respecter « le droit à l'alimentation et à la sécurité alimentaire » que prône Olivier de Schutter. Manger est un droit
Ce rapporteur spécial des Nations Unies fait remarquer que 43 % de la population mondiale n'ont pas d'autre solution pour survivre que de cultiver un lopin de terre. La bonne vieille notion « d'exploitation familiale » apparaît donc comme un système très actuel. Selon Lucien Bourgeois, elle reste « le meilleur moyen de combiner l'acte de production et l'acte de transmission ».
Cette conception du développement est aussi celle que défendent des associations telles que l'AFDI (Agriculteurs français et développement international). Deux de ses représentants, Jean-Luc Laffargue et Henri Biès-Péré, faisaient état des actions partenariales conduites auprès des agriculteurs (au Bénin et au Burkina Faso notamment) pour les aider à prendre en charge leur propre développement. M. Biès-Péré n'omettait pas pour autant de remettre sa casquette de responsable syndical pour appeler « à prendre soin » ici aussi des terres agricoles. « S'il doit y avoir 2 milliards d'habitants de plus à nourrir dans le monde, il faut que les pays en voie de développement produisent eux-mêmes, affirme le président de la FRSEA Aquitaine. Mais il ne faut pas pour autant que nous arrêtions de produire chez nous sous prétexte qu'il y a des terres disponibles ailleurs ». 1. Loi des États-Unis signée par le Président Abraham Lincoln le 20 mai 1862. Guy Mimbielle
Marché foncier « plutôt stable » en 2010
Si Lucien Bourgeois s'est intéressé au contexte foncier planétaire (lire ci-dessus), les responsables des Pyrénées-Atlantiques — dont le directeur Éric Pénac et les présidents des deux comités techniques Pierre Menet (Béarn) et Jean-Claude Saint-Jean (Pays Basque) — ont relocalisé le débat en analysant les évolutions du marché foncier « accessible1 » départemental en 2010. Un marché « plutôt stable » par rapport à 2009, illustré par trois chiffres clés : 870 notifications de vente (+ 5 %) effectuées pour 2 098 hectares mis sur le marché (- 1,7 %) d'une valeur de 109 millions d'euros. Toutes les composantes de ce marché n'ont pas pour autant évolué de la même manière. Le non-agricole a progressé de + 6 % en surface et + 15 % en valeur. À l'inverse, les marchés agricoles ont chuté de 13 % en surface et 20 % en valeur. La proportion des acquisitions effectuées par des non-agriculteurs continue de s'accroître au détriment des achats par les agriculteurs (et la Safer) lesquelles reculent de 18 % : ces derniers représentent 41 % en volume mais seulement 8 % du montant total des acquisitions. Illustration de l'artificialisation des terres, près de 30 % des surfaces vendues en 2010 « sortiraient de la production agricole et forestière ».
1. Marché « accessible » : biens notifiés à la Safer ouvrant droit à préemption, à l'exception des achats par les fermiers en place et des exemptions.
Partenaires des particuliers et des collectivités
La Safer est également sollicitée pour évaluer la valeur des biens lors de successions ou de négociations entre bailleurs et fermiers : 76 propriétés (1200 ha) ont été l'objet d'une telle expertise en 2010. Elle est aussi partenaire des collectivités territoriales : elle apporte son concours technique par le biais de conventions avec les communes (ou les communautés de communes). Ce volet de l'activité a nettement progressé cette année : 132 nouvelles conventions ont été signées portant le nombre de localités concernées à 410.
Le bilan du marché foncier peut être consulté sur notre site
(www.lesillon.info) et sur celui de la Safer (www.saferaa.fr)