Engrais azotés : le monde agricole s'organise
Alors que l'urée arrive massivement de l'étranger pour compenser la réduction des approvisionnements en ammoniac, des solutions se mettent en place pour épandre l'urée dans les champs.
Jusqu'à l'an dernier, 60 % environ des apports d'azote en grandes cultures dans le Sud-Ouest se faisait sous forme d'ammoniac (ou azote anhydre). Cette année, l'unique fournisseur de cet engrais, l'Ammoniac Agricole, a annoncé 15 jours avant la campagne une baisse de ses livraisons de l'ordre 30 %. Une annonce qui fait suite à celle d'un arrêt total de ses activités à compter du mois de juillet 2010.
Les acteurs de la filière mais avaient déjà commencé à préparer « l'après ammoniac ». Ils ne s'attendaient cependant pas à une baisse des volumes dès cette année. D'autant plus que l'entreprise avait tenu à rassurer ses clients, les informant par écrit que « les livraisons seraient assurées jusqu'à la fin de la campagne 2010 ». Une attitude mal perçue
Jean-Paul Marque, agriculteur en Haute Lande, utilise l'azote anhydre pour la fertilisation de ses mais depuis de nombreuses années. Il a du mal à comprendre : « Les maisiculteurs landais travaillaient jusqu'à ce jour en étroite collaboration avec ce fournisseur d'engrais, dans un climat de bonne entente ». Il dénonce l'attitude de l'Ammoniac Agricole qui prétexte les grèves à la SNCF pour justifier la baisse de ses volumes de livraison : « Ils ne se soucient pas des conséquences pour les agriculteurs. Pire, ceux-ci sont la variable d'ajustement au service de la politique de l'entreprise (voir zoom) ». Daniel Peyraube, secrétaire général de l'AGPM (association générale des producteurs de mais), considère quant à lui que « les perturbations logistiques liées à ces grèves ne suffisent pas à justifier l'ampleur de la baisse des livraisons ».
Il est par ailleurs à noter que le prix de l'ammoniac, qui normalement était indexé à parité sur celui de l'urée, est fixé pour cette campagne 30 % au dessus. « Il n'y a aucune raison à cela » tempête Hans Olav Raen, directeur d'AXSO1. Ce changement de donne en volume et prix, en plein semis, a nécessité une grande réactivité des organismes stockeurs (OS) pour trouver un engrais de remplacement. « Dès que nous avons eu connaissance de la baisse des volumes de livraison à la mi-avril, nous avons acheté des navires entiers d'urée, en Égypte principalement, sans passer par des traders français » indique le directeur d'AXSO. Les OS se sont aussi rapidement organisés pour que la logistique suive depuis le port jusqu'à l'exploitation.
« L'urée sera donc disponible en quantité suffisante pour cette campagne. Reste le problème de l'épandage » fait-il remarquer. Sur ce point, les techniciens des OS sont à l'oeuvre pour trouver des solutions pour chaque agriculteur, voir lesquels pourraient dès 2010 basculer de l'ammoniac à l'urée. « Il faudra maintenant une bonne collaboration entre les OS, les entrepreneurs agricoles et les agriculteurs pour que l'information circule bien ».
Didier Tastet, vice-président des entrepreneurs des territoires des Landes, compte lui aussi sur cette collaboration pour une organisation optimale des chantiers : « Il faut que tous les OS communiquent aux entrepreneurs sur quelles surfaces ils devront épandre l'urée et l'ammoniac ». Cette planification des épandages est d'autant plus importante que les besoins devraient être cette année très concentrés.
En ce qui concerne le matériel d'épandage de l'urée, les entrepreneurs sont mobilisés pour trouver dans l'urgence des solutions, avec l'achat, la location ou même la fabrication des outils nécessaires (enfouisseur ou bineuse). « Nous serons prêts ! » assure Didier Tastet. Il faut dire que pour les entrepreneurs de travaux agricoles, cette adaptation à la situation est indispensable. En effet, avec les restrictions d'ammoniac imposées, ils perdent environ 50 % de leur chiffre d'affaires sur l'épandage de cette forme d'azote, soit une partie importante de leur chiffre d'affaires annuel.
En tant qu'agriculteur équipé, Jean-Paul Marque, comme bon nombre de ses voisins, commencera par épandre l'ammoniac : « Je n'ai pas d'équipement particulier pour épandre et enfouir de l'urée, et mon ammoniac a été commandé et payé dès le début de l'année ». Ensuite, il « pilotera à vue » : si en cours de campagne, il ne peut plus être livré en ammoniac, il passera à l'urée qui sera épandue à la volée, avec derrière un passage de bineuse.
Dominique Maurel
1. Société en création qui réunit Maisadour, Vivadour et Euralis. L'ammoniac importé L'arrêt de la production d'ammoniac à Pardies (Pyrénées-Atlantiques) et les pannes dans les usines du Nord de la France obligeraient l'Ammoniac Agricole à importer le produit. L'entreprise comptait donc approvisionner le site pyrénéen (qui dispose d'une immense cuve de stockage) par transport ferroviaire depuis le port de Bordeaux. Les grèves de la SNCF auraient perturbé l'approvisionnement du site de Pardies, dont le volume est en priorité destiné à l'ammonitrate explosif (mines, routes), contraignant l'usine à puiser dans les stocks réservés à l'agriculture. Le retour à la normale du fret ferrroviaire tardif ne permettra par de remplir dans les temps la cuve. De plus, les transports par camion (30 par jour) mis en place ne suffisent pas à compenser le manque de volume.