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Le beurre et l’argent du beurre, une guerre des prix sans merci

Si l’envolée du prix mondial en est l’origine, la “pénurie” de beurre dans les rayons des grandes surfaces françaises relève de causes bien plus complexes, en lien direct avec le mode de contractualisation entre transformateurs et distributeurs hexagonaux.

file-La production mondiale de beurre devrait augmenter en 2017 de 7.000 tonnes, la consommation, elle, «est attendue en hausse de 50.000 tonnes», d’où un «déséquilibre entre l’offre et la demande mondiale en matière grasse», note Agritel.
La production mondiale de beurre devrait augmenter en 2017 de 7.000 tonnes, la consommation, elle, «est attendue en hausse de 50.000 tonnes», d’où un «déséquilibre entre l’offre et la demande mondiale en matière grasse», note Agritel.

Les raisons de la crise du beurre sont multifactorielles. On peut vite écarter l’argument de la baisse de la collecte laitière. Celle-ci reste modérée à - 1,2% pour la France, depuis le début de 2017 selon FranceAgriMer, et dans les mêmes proportions pour d’autres pays de l’UE. Au niveau mondial, on assiste plutôt à une légère hausse aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande et une stabilité en Australie.

Certains mettent en avant une moindre incitation de la part des producteurs à produire de la matière grasse dans le lait. «Il faut aujourd’hui 23 litres de lait pour produire un kilogramme de beurre, alors qu’il en fallait 20 litres il y a trois ans», souligne Matthieu Labbé, délégué général de la Fédération des entreprises de boulangeries (FEB) qui ont été les premières à alerter sur la crise à venir, dès le printemps.

Prix multiplié par 3 en deux ans

Cette crise du beurre a pris ses racines sur des «fondamentaux» du marché. Le prix européen du beurre vrac connaît un pic actuel à 7.000 euros la tonne, contre 4.000 euros, il y a un an, et 2.500 euros en 2015. En effet, alors que la production mondiale de beurre devrait augmenter en 2017 de 7.000 tonnes, la consommation, elle, «est attendue en hausse de 50.000 tonnes», d’où un «déséquilibre entre l’offre et la demande mondiale en matière grasse», explique Pierre Begoc, directeur des affaires internationales chez Agritel, dans un communiqué le 26 octobre.

Dans le même temps, au niveau mondial, il est vrai que la production de beurre est en légère baisse (- 4%), notamment en Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, la hausse de la consommation américaine de beurre fait que les États-Unis sont moins présents sur le marché mondial. Mais ce n’est pas cela qui explique la pénurie de beurre dans les supermarchés français. «La raréfaction de beurre dans les linéaires des GMS est aussi la conséquence de modes de contractualisation qui ne sont pas adaptés à la volatilité touchant les matières premières», explique Agritel.

Les industriels sont incités à «aller chercher une meilleure valorisation à l’export plutôt que via des engagements à prix fixes avec la grande distribution française, qui ne permettent pas d’ajustement de prix en fonction des cours mondiaux, poursuit Agritel. Certains us et coutumes de filières sont donc à dépoussiérer, car la volatilité est là, bien installée et il faudra faire avec, en utilisant de nouveaux outils de couverture».

Des pratiques françaises à dépoussiérer

Depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) adoptée en août 2008, les fournisseurs doivent envoyer leurs conditions générales de vente aux centrales d’achat des distributeurs, avant le 30 novembre de chaque année. L’ensemble des déterminants du prix final facturé aux centrales d’achat doit être discuté avant une période limite fixée au 1er mars. «En cas de forte variation du prix en cours d’année, il est prévu des clauses de revoyure du contrat. Il y a obligation de renégociation, mais les parties ne tombent pas forcément d’accord», explique Hugues Beyler, directeur agriculture de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).

Courant 2016, le prix du beurre avait déjà commencé à augmenter, mais pas suffisamment pour que les industriels changent leur stratégie commerciale. En revanche, en 2017, la flambée des prix s’est amplifiée chaque mois. Et les industriels ont reçu une fin de non-recevoir quant à une éventuelle renégociation des prix. Un petit nombre d’enseignes a accepté de passer une hausse dans le courant de l’été, mais autour de 10% seulement.

Fin de non-recevoir de la grande distribution

Les fabricants de beurre s’approvisionnent en crème auprès des fabricants de yaourts qui utilisent du lait demi-écrémé (dont 60% de la crème est extraite). «Au printemps, cette crème s’est retrouvée à un prix de marché de 7 €/kg d’équivalent beurre alors que la grande distribution n’acceptait pas d’acheter le beurre davantage que 4,50 €/kg au printemps puis 5 €/kg en été», explique Gérard Calbrix, directeur des affaires économiques de l’Association de la transformation laitière française (ATLA). Les fabricants de beurre ont alors assuré leurs contrats sur les marques nationales.

En revanche, à partir du printemps, ils ont dénoncé leurs contrats sur les marques de distributeurs (MDD), «or, en France, quand on dénonce un contrat, on a une obligation de continuer à livrer pendant trois mois, ce qui nous a conduits jusqu’à l’été», poursuit-il. C’est pourquoi la crise n’est intervenue qu’à l’automne. Et les laiteries se sont tournées vers le marché spot et vers l’export, marchés nettement plus rémunérateurs. Ainsi, selon les dernières données des Douanes disponibles, en août 2017, les exportations françaises de crème conditionnée ont augmenté de 19%, celles de beurre de 5% et celles de poudre grasse de 6% par rapport à août 2016.

«Nous avons renégocié cet été, mais nous n’avons pas voulu concéder une hausse importante considérant que ce n’est pas à la grande distribution, donc aux consommateurs, de donner une prime à la spéculation, explique un responsable d’une enseigne. C’est trop facile : quand les prix mondiaux des produits montent, on nous demande de nous aligner à la hausse, et quand ils baissent, on nous demande de faire tampon pour soutenir les producteurs, ce n’est pas logique».

«Les producteurs, dindons de la farce»

Cette crise du beurre fait dire à André Bonnard, secrétaire général de la FNPL, que «rien ne change, rien ne bouge, nous sommes toujours dans la guerre des prix». Selon André Bonnard, la LME oblige les industriels à fournir le marché alors que les distributeurs ont le droit de ne pas réévaluer les prix. Les industriels leur font payer sur les marques distributeurs parce qu’aujourd’hui ils sont dans un rapport de force favorable sur la matière grasse. «Ils se comportent de la même façon que la grande distribution, analyse-t-il. Et quand le rapport de force va changer, ces derniers vont leur faire payer à leur tour. Et au final, les dindons de la farce sont toujours les producteurs, alors qu’ils sont totalement hors du jeu».

Pour sortir de ce conflit commercial entre la distribution et les industries laitières, Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture, a proposé, dans son intervention sur RTL le 31 octobre, que «l’esprit des États généraux de l’alimentation souffle sur ces négociations», ce bras de fer étant, selon lui, «un test grandeur nature» pour les États généraux. Il a demandé aux distributeurs de «passer des hausses de prix auprès des transformateurs». «Je sais que certains ont déjà accepté», a précisé le ministre, citant Système U et Auchan (qui ont une centrale d’achat commune).

«J’appelle chacun à prendre ses responsabilités pour que les consommateurs puissent trouver du beurre en quantité suffisante, et dans les négociations commerciales qui vont démarrer bientôt, je veux qu’il y ait de l’écoute et de la concertation», martèle le ministre. En attendant, les éleveurs sont pris entre le marteau et l’enclume, restant les victimes collatérales de cette guerre des prix entre industriels et distribution…

 

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